Pouchkine
Eugène Onéguine
            
La strophe Onéguine, parfois appelée « sonnet de
                  Pouchkine », fait référence à la forme de vers
                  popularisée (ou inventée) par le poète russe Alexandre
                  Pouchkine dans son roman en vers Eugène Onéguine,
                  écrit entre 1825 et 1832. L'œuvre est principalement
                  rédigée quatrains de 14 vers, de tétramètre iambique
                  avec le schéma de rimes AbAbCCddEffEgg, où les lettres
                  majuscules représentent des rimes féminines
                  (accentuées sur l'avant-dernière syllabe) et les
                  minuscules des rimes masculines (accentuées sur la
                  dernière syllabe).
                Ci-dessous, les premiers vers (en sachant que toute traduction est délicate dans sa restitution ; ici, ce roman assez court, en vers, est traduit du russe par André Markowicz, Editions Actes Sud) :
Au monde froid inapte à plaire
Quand l’amitié m’offre sa voix,
J’aurais voulu, Pletniov te faire
Un présent plus digne de toi,
Digne d’une âme de droiture,
A la pensée emplie d’honneur,
De poésie vivante et pure,
De rêves hauts et de candeur ;
Mais quoi – accepte d’aventure
Ce lot de strophes bigarrées,
Moitié comiques, moitié tristes,
Terre à terre et idéalistes,
Frivoles fruits de mes soirées,
Nuits d’insomnie, songes rapides,
Elans fanés à peine verts,
Remarques d’un esprit lucide,
Observations d’un cœur amer.
Le roman du russe Pouchkine se compose donc  de
                    strophes de quatorze vers portant chacun quatre
                    accents, et dont les douze premiers, comme Nabokov
                    le souligne, « montrent dans la séquence des
                    rimes la plus grande variation possible au sein d’un
                    groupe de trois quatrains : rimes alternées,
                    simples et embrassées ». Suivant ce schéma
                    complexe, Pouchkine papillonne autour de sa ligne
                    narrative romantique, créant un montage de
                    digressions en zigzag. Car le roman de Pouchkine
                    traite en partie d’une histoire d’amour entre Eugène
                    et Tatiana, mais également de son propre jeu avec la
                    forme du roman – l’improvisation désinvolte
                    procédant aussi d’un système de forte contrainte. Et
                    les rimes complexes et comiques font partie de cette
                    dissection parodique de la forme du roman
                    – qu’elles arrachent au monde du sérieux
                    prosaïque.
                Comme le sonnet shakespearien, la strophe Onéguine
                  peut être divisée en trois quatrains et un distique
                  final (généralement sans séparations de strophes ni
                  indentations), et elle comporte un total de sept
                  rimes, au lieu des quatre ou cinq rimes du sonnet
                  pétrarquien. Comme le deuxième quatrain (vers 5 à 8)
                  est composé de deux distiques indépendants, le poète
                  peut introduire une rupture thématique marquée après
                  le vers 6, ce qui n'est pas réalisable dans les
                  sonnets pétrarquien ou shakespearien.
                Cette strophe Onéguine suit un schéma unique
                      qui combine plusieurs types de rimes en un seul
                      quatrain de 14 vers. 
                    Voici le schéma complet : AbAbCCddEffEgg
                    Pour clarifier :
                    •A et a représentent des rimes masculines
                      (accent sur la dernière syllabe).
                    •B et b représentent des rimes féminines
                      (accent sur l’avant-dernière syllabe).
                    Ce schéma se décompose ainsi :
                    1.AbAb : alternance de rimes croisées, où les
                      rimes masculines (A) et féminines (b) alternent
                      dans les quatre premiers vers.
                    2.CC : deux rimes plates (masculines ou
                      féminines), renforçant un effet de conclusion.
                    3.dd : deux autres rimes plates, créant une
                      pause et un changement de rythme.
                    4.EffE : rimes embrassées, avec un retour à
                      l’alternance des genres.
                    5.gg : clôture par une rime plate finale,
                      souvent servant à marquer une conclusion ou un
                      point culminant.
                    Dans le schéma des rimes de la strophe
                        Onéguine, après la rime gg qui clôt la séquence
                        (AbAbCCddEffEgg), la strophe est terminée. Il
                        n’y a donc pas de continuation de la séquence de
                        rimes au-delà de gg. Chaque strophe est un bloc
                        indépendant qui suit cette structure de 14 vers,
                        et chaque nouvelle strophe repart au début du
                        schéma avec AbAbCCddEffEgg.
                      Ce schéma cyclique donne une forme et un
                        rythme distincts à chaque strophe tout en
                        maintenant la cohérence du texte en vers à
                        travers tout le poème. Pouchkine a conçu cette
                        structure pour qu’elle soit répétitive d’une
                        strophe à l’autre, ce qui impose une discipline
                        formelle mais laisse aussi une grande liberté
                        créative à chaque bloc de 14 vers.
                    Cette séquence de rimes crée un rythme musical
                      et une continuité qui donne à chaque strophe un
                      caractère complet, presque autonome, tout en
                      contribuant à l’ensemble du poème.
                  Ce format structuré a plusieurs effets :
                  - 
                      Cadence et rythme : La strophe Onéguine donne un rythme précis au récit, ce qui crée une harmonie et une musicalité tout au long du texte. Cette qualité rythmique impose aussi une temporalité à la narration, suggérant une fluidité qui rappelle celle d’une mélodie et donne une impression de continuité entre les vers.
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                      Contraste entre la structure et le contenu : Alors que la structure du vers est rigide et régulière, le contenu narratif est souvent chaotique, imprévisible, voire ironique. Pouchkine utilise ce contraste pour renforcer les tensions entre le cadre social figé des personnages et leurs émotions ou réflexions intérieures, souvent tourmentées et contradictoires.
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                      Limitation créative et innovation : La contrainte de la forme impose à Pouchkine une discipline créative. L’auteur doit trouver des moyens subtils pour raconter l’histoire dans une structure rigide, ce qui l’oblige à une économie de mots et à des choix stylistiques inventifs pour transmettre toute la profondeur émotionnelle et psychologique des personnages en peu de vers.